Buenos Aires, Argentine













 
                   ©Ligne Directe,2010

YO EN EL FUTURO

Echapper à la foule de la rue des Teinturiers, à ses nombreuses petites salles de théâtre et autres parades du « off », à ses prospectus, à ses affiches, à ses jeunes comédiens aux yeux de plus en plus cernés… Pénétrer dans la fraîcheur de la salle Benoît-XII…. Ce fut quelques trop brefs jours durant un pur moment de poésie mélancolique, d’enfantillage métaphysique que d’admirer et de se perdre dans Yo en el Futuro (Moi dans le futur), mis en scène par Federico León….


Sur scène, deux femmes, un homme, à trois âges de leur vie. Et un piano qui accompagne cette étonnante machine théâtrale à remonter le temps…

Les plus âgés ont-ils convié les plus jeunes – trois enfants de dix ans, trois trentenaires – à venir rejouer leur existence comme de simples acteurs, ou bien s’agit-il d’une seule et même famille ? On ne saura pas, et d’ailleurs peu importe.

Ce qui intéresse l’argentin Federico León, 34 ans, c’est de donner à voir et sentir les émotions brutes, les sensations premières qui laissent d’indéfectibles traces dans les mémoires et peuvent à jamais tisser un destin, fût-il le plus ordinaire. Et il y parvient admirablement dans ce fragile spectacle de quelque cinquante, rares, minutes.

Sur un grand écran, au fond de la scène, défile encore un vieux film qu’ont sans doute tourné les trois ainés à des moments phares de leur passé, et ces images-là, peu à peu, doucement, s’entrechoquent aux scènes qu’ils remettent en scène au présent…

On aura tôt fait d’associer à l’illustre compatriote Borges la quête quasi surréaliste de Federico León : donner à sentir la densité et l’éternel retour du temps, l’épaisseur d’une vie, les labyrinthes de la mémoire. Sauf que sa démarche est bien plus théâtrale que littéraire. Dans un espace simplissime d’images et de quasi vide, juste avec les corps fatigués et lents, ou toniques et rapides de ses interprètes, leurs gestes réduits à l’épure d’un baiser et leurs mots minimalistes, l’Argentin parvient à dessiner en relief et petite musique quotidienne, l’essence même de la vie.


Fabienne Pascaud, Télérama