Après s’être confronté à Tchekhov avec une adaptation de Oncle Vania (Espía a una mujer que se mata) et une version des Trois soeurs (Un hombre que se ahoga), Daniel Veronese retrouve le même groupe d’acteurs pour mener une recherche sur la dramaturgie de Henrik Ibsen.


  1. Ces deux adaptations de pièces du répertoire, Maison de poupée et Hedda Gabler, peuvent être présentées séparément mais se déroulent dans le même espace scénographique et sont liées dans la réécriture scénique par une multiplicité de signes. Si bien que, présentées conjointement, elles sont comme deux parties d’un même noyau.

©Ligne Directe 2010

TOUS LES GRANDS GOUVERNEMENTS

ONT ÉVITÉ LE THÉÂTRE INTIME

d’après Hedda Gabler de Henrik Ibsen


  1. IBSEN_-_HEDDA_generique.html








LE DÉVELOPPEMENT DE LA CIVILISATION À VENIR

d’après Maison de poupée de Henrik Ibsen


  1. IBSEN_-_CASA_generique.html
 

Daniel Veronese, propos recueillis

  1. Propos publiés dans la revue Mutis por el foro n°10 – juin / juillet 2009

  1. Daniel Veronese explique la méthode qu’il a choisi pour ses deux versions de Maison de poupée et de Hedda Gabler, de Henrik Ibsen.


  2. A priori, le public peut connaître un texte assez bien. En l’occurrence, ici, celui de Ibsen. Cela peut être un avantage. Dès lors, mon travail modifie non seulement le texte, mais joue aussi avec les attentes du public vis-à-vis de cette pièce. Par contre, un des désavantages peut être le regard et l’opinion, parfois sur-protectrice, que portent les connaisseurs.


  1. Pour affirmer ma démarche, je m’appuie sur mon opinion personnelle et subjective: il m’est apparu, en faisant d’autres adaptations, que le passage du temps rendait nécessaire une révision du texte pour le porter à la scène. Ibsen est un auteur d’idées concrètes et révolutionnaires pour son temps. Mais les idées d’Ibsen qui furent alors révolutionnaires peuvent s’avérer ne plus être si inquiétantes aujourd’hui.

  2. Au-delà de ça, ce qui m’a intéressé dans ces pièces, c’est qu’elles ont toutes deux des profils dramatiques très concrets, de magnifiques personnages pour les acteurs, et des structures parfaitement construites pour mener au dénouement.


  1. Je cherche des formes et des sentiments, des contenus et des trappes, qui peuvent porter le texte jusqu’à ce que j’appelle ma "sphère personnelle et quotidienne". A partir de là je peux commencer à penser. Ma démarche est difficile à expliquer car ce n’est pas une formule, c’est tout au plus un procédé qui apparaît avec la nécessité de trouver la vérité dans chaque phrase, chaque mot ou chaque situation. La tache commence par un travail rustique qui cherche peu à peu des voies d’approche vers un niveau plus subtil et personnel. Je ne commence à répéter une pièce que lorsqu’elle a déjà été travaillée plusieurs mois auparavant. La parole entendue lors des répétitions est celle qui garde pour moi un caractère de preuve contondante jusqu’à la découverte de cette organicité et de cette véracité, que je cherche.

Le projet Ibsen

  1. Je veux évidemment que les acteurs veuillent la même chose que moi. Pour que ce travail soit plus léger et porteur, j’ai besoin d’un groupe avec qui je m’entends bien et vite. Au moment de choisir les acteurs, je mets dans la balance plusieurs conditions fondamentales : il faut évidemment que j’aime leur façon de travailler, mais aussi qu’ils puissent affronter le travail en équipe. J’ai besoin que le résultat final soit une addition invisible de chacun de nous tous.


  2. Je ne peux pas trop parler de point de départ, a priori. Que vais-je dire avec une pièce ? Je ne sais pas. Peu m’importe. J’ai confiance dans le fait qu’avec les ingrédients cités auparavant, la recette va donner quelque chose. Je ne sais pas si cela sera savoureux. Mais tout au moins, cela sera inquiétant.


  1. Je commence à connaître la pièce quand commence l’étape des répétitions. Auparavant, je ne la connaissais qu’intellectuellement, et les idées qui me venaient alors finissaient rarement par être intéressantes, théâtralement parlant. Je choisis une pièce par intuition, sachant que quelque chose se passera lors de la dissection. Sachant que quelque chose apparaîtra au moment de nous embourber, quand nous nous arrêterons de penser «au» théâtre et que nous ferons "du" théâtre.

  2. J’ai vu, il y a peu, une version TV de Scènes de la vie conjugale. Dans un des épisodes, Johan et Marianne viennent de voir au théâtre Maison de poupée. Il m’a semblé que je me mettrais dans une saine complication si je faisais un saut dans le temps, et que Nora et son mari venaient de voir Scènes de vie conjugale

  3. Ensuite, bien sûr, il faut tenir compte de cette décision. Il s’agit de ré-inscrire la fiction dans un espace où il est toujours très difficile de créer des atmosphères fictionnelles puissantes. Il est difficile de faire en sorte que, dans les salles de théâtre, les gens soient submergés et qu’ils restent suspendus pendant un bon moment dans un état illusoire.

  4. L’inclusion de l’œuvre de Bergman permet d’intertextualiser, et c’est  cette intertextualisation qui est intéressante. Elle constitue une ouverture esthétique certaine et se retrouve surtout dans le jeu dramaturgique, qui peut amener à produire un court circuit temporel dans la tête des spectateurs. Ces choix me permettent de chercher des états de suspension momentanée.


  5. Je sens que tout est plus simple qu’il n’y paraît. Si on me demande : "comment commence-t-on à travailler ?", je réponds que j’ai entendu dire qu’on ne peut pas faire de théâtre avant de le faire. Le point de départ est le texte appris par les acteurs, les acteurs choisis et leurs envies.

  6. Il y a des référents, des procédés et des décisions déjà incrustés dans ma façon de produire et de créer, mais je n’en suis pas trop conscient et je ne cherche pas à l’être avant l’apparition d’une difficulté. Chaque pièce est presque comme la première par rapport à la difficulté qu’elle représente pour moi. C’est étrange, mais je me sens fort dans l’inconnu. Il m’est aussi difficile de planifier, qu’il m’est plaisant et facile de trouver dans l’immédiat.


  7. J’ai voulu reprendre la même scénographie pour chacune des deux pièces parce qu’elles allaient être présentées l’une après l’autre, et parce que c’était plus pratique et moins coûteux. Maison de poupée… suivi de Hedda Gabler. A un moment, quelque chose s’est articulé pour moi entre la jeunesse de Nora et l’âge adulte de Hedda. J’ai immédiatement pensé à la possibilité d’une même femme, la même héroïne avec un mari différent. Tout est resté comme une idée.

  8. Ce que je suis en train d’essayer de faire et qui me semble être intéressant: demander ou accepter pour une nouvelle pièce, une scénographie déjà utilisée. En l’occurrence, Mariana Chaud m’a cédé la scénographie de Budin Inglés, réalisée par Ariel Vaccaro. Mon idée originale était de pouvoir l’utiliser comme elle était, sans grands changements. Malheureusement, j’ai du la modifier pour pouvoir l’utiliser dans les lieux où elle sera montée. C’est dommage. J’aime beaucoup la scénographie originale de Vaccaro.

  9. Avoir une scénographie d’occasion, y emménager et l’habiter, me soulage d’une pression. C’est comme dire: "nous n’avons nulle part où aller, quelqu’un nous cède gentiment un espace, et nous décidons alors d’y vivre". Et tout a commencé à fonctionner de manière étrange et chaleureuse.


  10. Il n’y a rien de moins théâtral que certain appareillage théâtral que nous avons conçu comme fondamental pour penser le théâtre. Tout ce qui n’est pas dit ni advenu entre les corps des acteurs, très souvent, ne me parait pas nécessaire.

  11. Je pense: "ici, aujourd’hui, je vais mettre de la musique (ou tout autre effet), et je finis par l’oublier, conduit par la scène que je viens de voir".


  12. Quant à mon choix des deux titres, j’ai trouvé Le développement de la civilisation à venir très approprié pour le devenir de Nora. Tous les grands gouvernements ont évité le théâtre intime n’a pas d’explication, mais il m’a paru plus suggestif.

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