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ODISSEIA



Sao Paulo, Brésil

    Le mythe grec de l’Odyssée est peut-être à la naissance de l’idée de nostalgie : Ulysse, narrateur de ses propres aventures, se bat involontairement pendant dix ans dans la guerre de Troie. Il lui faut dix ans de plus pour rentrer chez lui, retenu par des mésaventures maritimes. En 2018, le collectif de théâtre brésilien Cia Hiato fête aussi ses 10 ans. ODISSEIA mêle le récit d’Homère et les expériences personnelles des acteurs (dans la droite lignée d’un processus de recherche caractéristique de la compagnie) pour conter la fin d’un long voyage, le désir humain de rentrer chez soi. C’est une tentative de trouver en nous les racines du passé et construire une archéologie future.


    Homère fait le récit d’un homme qui, de retour chez lui, massacre les prétendants qui courtisent sa femme et reprend les rênes de sa maison. Pourtant, le personnage d’Ulysse n’apparaît jamais dans la pièce. Le public endosse cette absence et écoute, en étranger, comme un migrant, des récits contemporains. Le spectateur pourrait aussi bien être un dirigeant politique ou militaire, un stratège, un poète, un mari et père aimant ou ayant commis un adultère, un sans-abri, un athlète, un handicapé, un soldat traumatisé, un pirate, un voleur menteur, un fugitif, un colon, un propriétaire, un marin, un ouvrier en bâtiment, un meurtrier de masse, ou un héros de guerre.


    ODISSEIA parle avant tout de cet autre. Cia Hiato divise le poème d’Homère en sept parties qui correspondent chacune à un personnage de l’Odyssée : Télémaque, le fils abandonné par son père ; Pénélope, l’épouse qui attend le retour de son mari ; la nymphe Calypso qui offre à Ulysse l’immortalité et l’amour éternel ; la magicienne Circé qui le mène jusqu’au royaume des morts ; ses compagnons morts en mer avant d’avoir pu rejoindre leur maison ; les nombreux esclaves à son service, pour la plupart anonyme ; la déesse Athéna qui trame une guerre en son nom. Ces personnages se nourrissent des histoires personnelles des acteurs, vraies ou fausses, rêvées ou remémorées. A la manière du poème, la pièce tisse et détisse plusieurs couches narratives en une composition simple et astucieuse. Plonger dans le récit de ces histoires nous invite à repenser les origines de la littérature occidentale et la complexité du monde contemporain ; à affronter la détresse d’un peuple qui a oublié ses mythes fondateurs et doit se souvenir que ce qu’il a n’est autre que ce qu’il a toujours eu. Nous sommes encore et toujours des êtres mythiques.

   

    Cia Hiato entremêle ici les petits détails tragi-comiques de nos vies modernes avec une approche de la condition humaine héritée de la Grèce antique pour faire de ODISSEIA un lieu intime où acteurs et spectateurs partagent l’intensité des sentiments vécus : amour, tristesse, colère… Une pièce de théâtre et une expérience interactive, sans frontière entre l’ordinaire et le mythologique. Les interprètes et le public construisent ensemble une pièce à travers laquelle ils abordent des questions telles que : quelles sont ces histoires que nous racontons ? Pourquoi les racontons-nous ? Qui sommes-nous quand nous sommes regardés ? Que voyons-nous quand nous regardons ? Avec combien d’absents pouvons-nous vivre ? Avec quels fantômes vivons-nous ? Quelles idées ou utopies abandonnons-nous ? A quelles guerres survivons-nous ? Où ne pouvons-nous pas retourner ?


 

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